XIII - Henry-Martial-Joseph
(Martial) DASSONVILLE - LEPLAT
Henri-Martial-Joseph DASSONVILLE,
alias Martial fut le second fils dAlexis Dassonville et de Louis-Victoire Piat. Il était à
Tourcoing le 17 janvier 1806.
Il fit ses études au collège de Tourcoing et les
termina au collège de Saint-Omer où il se rendant
à pied, portant son baluchon composé de ses effets
et de ses livres dans un humble sac de toile appelé
bissac ou besace.
Ses études terminées, il aida son
père, Alexis Dassonville-Piat dans sa filature de
coton, située rue de Lille.
Les frères Dassonville, comme leurs confrères de l'époque,
se formèrent "sur le tas", dans l'entourage
familial. L'expérience professionnelle comptait
davantage que les longues études.
L'affaire de son père périclita peu à
peu et ils durent la liquider. Martial devint
comptable chez Monsieur Grimonprez-Bossut, filateur
de coton à Roubaix et son frère Louis Dassonville-Leplat
y devint contremaître ou directeur. Ils se levaient
tous les jours à quatre heures du matin et partaient
à leur travail portant avec eux la maigre pitance de
la journée qui durait en ce temps là 13 à 14
heures par jour. Les deux frères avaient conquis l'estime
de leur patron et quand Monsieur Grimonprez-Bossut
fut trop âgé et cessa la filature, il commandita
ses deux serviteurs dévoués afin qu'ils rachètent
la filature de Monsieur Delannoy-Piat , 44 rue des
Ursulines. Une filature de laine faisait partie de l'achat,
mais Martial et Louis ne la firent pas fonctionner et
la cédèrent par la suite à leur contremaître
Christory.
Martial se maria sur le tard, à
37 ans et épousa à Tourcoing, le 22 février 1843, Justine-Louise-Joseph
LEPLAT, de douze ans sa cadette. Elle était née
à Tourcoing le 18 février 1818 et était la fille
de Jean-Baptiste-Joseph Leplat, filateur de laine
très fortuné et de Thésèse-Louise-Joseph
Desnoulet.
Le beau-père de Martial, filateur de
laine cardée et de coton était bien connu sur la
place de Tourcoing. Par son mariage, Martial devint
le beau-frère de son cadet Louis, qui avait épousé
en 1841, Hortence la soeur aînée de Justine.
L'entreprise Dassonville Frères fut
donc installée vers 1835, rue des Ursulines, dans
les locaux de Delannoy-Piat lui-même filateur et
oncle des jeunes gens. On peut encore voir au
44, cette belle maison néo-classique à l'architecture
soignée, dont la façade, au rez de chaussée, est
rythmée par une série de pilastres tandis que les
baies de second étage sont traitées en demi-cercle.
Martial l'habita avec sa famille, jusqu'à la fin de
sa vie.
Maison de la rue des Ursulines,
occupée par Martial Dassonville
et sa famille, dans la seconde moitié du 19ème
siècle
Les bâtiments industriels s'étendaient derrière la
maison
Aujourd'hui, la maison familiale est
aménagée en clinique. Les installations proprement
industrielles s'étendaient comme toujours derrière
la maison, jusqu'au fond de la parcelle. La surface
de la filature, en 1827, ne dépassait pas 600 m2
mais les agrandissements vont se succéder d'année
en année.
Justine fut chargée des écritures,
passant des nuits entières à faire les comptes d'intérêts
d'une clientèle qui réglait au fur et à mesure de
ses rentrées.
En 1843, une enquête sur le travail des
enfants est effectuée dans les établissements
industriels de Tourcoing. La filature Dassonville
Frères n'a pas échappé à l'inspection et le
rapport de visite nous permet d'entrebâiller la
porte des ateliers où travaillent 90 ouvriers (parmi
eux on compte 5 enfants de 8 à 12 ans et 16 de 12 à
16 ans). Dans la journée, trois repos d'une demi-heure
sont admis. L'été, il faut se lever très tôt, l'heure
d'entrée étant fixée à 5 h du matin, la sortie se
faisant à 9 h. L'hiver, on entre à 9 h du matin
mais on est tenu de rester jusqu'à 10 heures du soir.
"Les ouvriers des deux sexes
sont confondus" précise encore le rapport
et il n'existe pas chez Dassonville Frères de
règlement pour la police interne; un léger vent de
liberté semble souffler ici plus qu'ailleurs. Les
enfants, mis au travail si jeunes, ont en général
reçu très peu d'instruction. Dans l'entreprise, un
seul enfant âgé entre 8 et 12 ans fréquente une
école et 5 enfants âgés entre 12 et 16 ans ont
bénéficié d'une éducation primaire. Quant aux
autres aucune instruction ne leur a été dispensée
(Archives Municipales Tourcoing : 7FIE).
Au terme de la loi du 22 mars 1841, les
enfants de moins de 8 ans ne sont pas autorisés à
travailler dans les établissements employant plus de
20 ouvriers; pour ceux de 8 à 12 ans, on ne doit pas
exiger plus de 8 h de travail par jour et pour ceux
de 12 à 16 ans, plus de 12 heures. Quant au travail
de nuit, il n'est admis que pour les enfants de plus
de 13 ans et dans ce cas, deux heures sont comptées
pour trois. La législation plus sévère qu'en
Angleterre, n'est malheureusement pas appliquée
partout avec la même rigueur qu'à Tourcoing, faute
d'un système d'inspection efficace.
Enorme compilation, destinée à dresser
le tableau économique, le plus fidèle possible, de
l'ensemble du pays, la Statistique Générale de
France comporte forcément quelques erreurs.
Dans le Nord, les imbrications
matrimoniales sont extrêmement difficiles à
démêler, les enquêteurs eurent la tâche bien
ardue. Ainsi comment faire la différence entre
Dassonville-Leplat et Dassonville-Leplat ? L'un est
Martial, l'autre est Louis, ils ont épousé des
soeurs mais les affaires restent séparées, l'une
rue des Ursulines, l'autre rue des Anges. L'enquêteur
jugea bon de les additionner et la Statistique par
établissements industriels de l'arrondissement de
Lille, classa la filature de Dassonville-Leplat en 1ère
position à Tourcoing en 1847. Avec 210 ouvriers, 150
hommes payés 2 francs par jour, 40 femmes un franc,
20 enfants cinquante centimes et une valeur des
produits fabriqués annuellement se montant à 760.000
francs. Les fils d'Alexis Dassonville réunis avaient
fait un énorme bond en avant.
Son frère, Louis Dassonville-Leplat, se
spécialise entièrement dans la filature de coton,
tandis que Martial avec son frère Charles, exploite
un temps la filature de laine de la Veuve Delannoy-Delahaye
rue des Anges avant de monter sa propre filature de
laine à côté de la filature de coton rue des
Ursulines. En 1864, une machine à vapeur de 60
chevaux entraîne les deux installations; on est loin
du manège à chevaux du début du siècle.
Il semble que Martial eut « une
brique dans le ventre » comme l'on dit. La
matrice cadastrale nous révèle que de 1850 à 1864
il n'a cessé d'agrandir ses filatures de laine et de
coton, au 44 de la rue des Ursulines, en arrière de
sa maison d'habitation. Il fait également édifier,
dans la même rue, au 33 et au 35, deux grandes
maisons destinées sans doute à ses fils.
Conseiller municipal depuis 1855, il
appartient au cercle étroit et choisi des notables
de Tourcoing. L'Almanach du Commerce de Lille et du
département du Nord de 1854 nous réserve une
nouvelle surprise qui confirme le maintien de la
tradition de polyvalence dans cette famille : les
frères Dassonville, filateurs de laine et de coton
étaient également brasseurs ! Leur frère Henri
exerçait 3 Grand-place à la même époque, la
profession de marchand de graines, tourteaux et
liquides, et de négociant en vin et spiritueux. Il
était probablement associé à l'exploitation de
cette brasserie.
Nous avons vu que depuis 1806, la maison
d'Alexis et Louise-Victoire, le 3 Grand-place, avait
connu côté rue comme côté cour des affectations
très diverses. Ainsi en 1867, un fils d'Henri,
Carlos, dont le prénom renvoie à l'occupation
espagnole, y fait ses premières armes de négociant
en laines brutes et peignées, en fils cardés et
mixtes alors que son père poursuit au même endroit
son commerce de grainetier et son négoce en vins.
Carlos exerça cette activité pendant quelques
années avant d'embrasser la carrière d'assureur.
Rue des Ursulines, les bâtiments
industriels à l'arrière de la demeure de Martial ne
pouvaient s'étendre à l'infini. On arrivait à
saturation et l'étroitesse de la rue ne facilitait
pas les livraisons et sorties de marchandises. Il
était temps d'envisager une installation plus
fonctionnelle sur un site mieux adapté. C'est ainsi
que Martial Dassonville décida en 1871, à l'âge de
65 ans, de construire une filature de coton moderne
et rationnelle sur un terrain vierge, rue Notre-Dame
des Anges, une voie toute nouvellement tracée (Arch.
Municipales Tourcoing : permis de bâtir O 1B107, 29
septembre 1871).
D'après la demande de permis
de bâtir di 29 septembre 1871
(Archives Municipales de Tourcoing : 01B 107)
Est actuellement le centre de l'activité commerciale
et financière
de la PORTE BLANCHE
En 1860, le milieu cotonnier eut à
faire face à une grave crise "une famine de
coton" due à la guerre de Sécession aux
Etats-Unis. Les cours du coton brut s'envolèrent et
les consommateurs se tournèrent alors vers les
tissus de laine. On comprend mieux dans ce contexte,
la construction, par Martial Dassonville, d'une
filature de laine à côté de sa filature de coton
rue des Ursulines.
D'après le plan cadastral de
Tourcoing de 1884 en l'état de section
Archives Municipales de Tourcoing : GIB3
Plan des bâtiments de la filature de Martial
Dassonville en 1884,
installés sur le site actuel de La Blanche Porte
Avec la guerre de 1870 et sa
conséquence tragique, la perte de l'Alsace-Lorraine,
la France perdit ses usines textiles les plus
performantes. Le Haut-Rhin en particulier se
signalait par ses produits de qualité tant en
filature qu'en tissage de coton, par son niveau
technique très élevé et une concentration plus
avancée qu'ailleurs.
Lorsqu'en 1871, Martial édifie une nouvelle filature
de coton de deux étages, à la périphérie de
Tourcoing, rue Notre-Dame des Anges, il pense
certainement, en premier lieu, à établir son fils
aîné Emile. Mais il sut aussi analyser la nouvelle
situation créée par la perte de l'Alsace annexée
à l'Allemagne et la chance offerte sur le marché
intérieur français, soudain amputé d'une de ses
plus importantes sources d'approvisionnement, les
filatures de coton du Haut-Rhin. Les filatures de
Lille, Roubaix et Tourcoing connurent alors une très
grande prospérité. Une occasion était à saisir,
il ne l'a pas manquée et l'investissement fut
particulièrement judicieux.
Martial se sépara de son frère Louis,
mais les deux frères conservèrent en commun de
nombreuses commandites.
Deux ans plus tard, en 1873, Martial
Dassonville fit bâtir une maison à côté de la
filature Notre-Dame des Anges, elle faisait à la
fois office de bureau et d'habitation.
Maison à construire par
Martial Dassonville
rue Notre dame des Anges
D'après la demande de permis de construite du 18
septembre 1973
Archives Municipales de Tourcoing 01B108
Emile, fils de Martial, âgé de 27 ans,
encore célibataire, se vit confier la gestion de
cette usine flambant neuve, tandis que ses parents
poursuivaient l'exploitation des établissements de
la rue des Ursulines.
A 71 ans, Martial se retira des affaires
et il mourut à Tourcoing d'une congestion le 6 mars
1877. Son acte de décès le désigne comme
propriétaire rentier.
Les héritiers de Martial, sa veuve et ses quatre
fils se partagèrent la propriété de la filature de
coton de la rue Notre-Dame des Anges et poursuivirent
l'exploitation de l'affaire paternelle.
Les nombreuses commandites que Martial
et son frère Louis avaient gardées en commun se
révélèrent désastreuses après leur mort. Aux
années des vaches grasses, succéda celle des vaches
maigres. L'affaire Oscar Bossut, négoce en laines et
Prouvost Jeune, tissage d'ameublement, les plus
importantes de leurs commandites absorbèrent toute
la fortune réalisable de Martial dont la succession
coïncidant avec la liquidation déficitaire de
plusieurs commandites s'avéra des plus difficiles.
Tous les créanciers furent intégralement réglés.
Justine garda sa maison de la rue des
Ursulines construite en 1872 ainsi que la filature
qui fût également sauvée et le tissage d'ameublement
Prouvost Jeune maintenue quelques années en
activité par Victor le plus jeune des quatre fils de
Martial. Emile, Gustave et Léon furent associés
dans la filature.
Au sein du groupe familial, se détache
une belle figure de femme énergique, la veuve de
Martial et la mère des trois filateurs. Une
septuagénaire qui se lance en 1887 avec sa fille
Marie-Hortence et son gendre Carlos (encore un !)
Corman dans de nouvelles fabrications, des tissus d'ameublement
et de la bonneterie. Fabricante à métiers et
retordeur de fils de coton pour le tissage, elle
alimente 30 métiers pour la tapisserie et 25
métiers à bras pour tricots laine et soie. Elle n'a
pas pour autant abandonné la filature de coton et
rue des Ursulines, la machine à vapeur actionne
alors quelques 8.580 broches (Arch. Municip.
Tourcoing : GIC38 patentes).
Les femmes de la famille maintiennent,
pour quelque temps encore, la tradition de
polyvalence de la famille Dassonville et du milieu
textile local, alors que les dernières années du
XIXème siècle voient s'affirmer partout une nette
tendance à la spécialisation.
L'insuffisance de fonds de roulement se
fit sentir et il fallut recourir à la Banque Joire.
Les intérêts débiteurs absorbèrent une bonne part
du rendement de l'affaire; ils végétaient.
Pour sortir de cette situation difficile, l'aîné
des associés, chargé plus particulièrement des
achats, ne sut pas faire concorder ceux-ci avec les
besoins réels et sans l'assentiment de ses frères,
il spécula à la hausse. Ce fût la baisse qui
survint et ce fut la débâcle ! C'était en 1889.
Cette fois encore tous les créanciers
furent intégralement payés. Une transaction
intervint toutefois à la Banque Joire à laquelle
furent versées des annuités pendant plus d'un quart
de siècle.
Ruine totale de la famille Martial
Dassonville dont le nom disparaissait de la liste des
filateurs de coton. Selon la phrase célèbre "Tout
est perdu fors l'honneur" !
Justine vendit la maison (aujourd'hui
clinique Legrand), la plus grande partie de ses
meubles et se retira chez son fils Victor rue de Gand.
Elle y vécut une vieillesse heureuse, calme et
tranquille ensoleillée par les délicatesses de sa
belle fille "Fine", la femme de Victor qui
l'entoura d'une affection sans borne et lui apporta
les meilleurs soins pendant ses vieux jours. Fine
maintenu les réunions de famille et les dîners du
jeudi auxquels participaient à tour de rôle ses
petits enfants.
Justine décéda à Tourcoing, le 16 mai
1903, à l'âge de 85 ans.
Justine et Martial ont eu cinq enfants :
1 - Marie-Justine-Joseph DASSONVILLE,
née à Tourcoing le 17 décembre 1843, y décédée
le 21 janvier 1844.
2 - Emile-Henri-Joseph DASSONVILLE -
WIBAUX, qui
suit en XIV
3 -
Gustave-Jean-Baptiste-Joseph DASSONVILLE filateur, né à Tourcoing le 17
août 1846, y décédé le 15 mars 1899.
4 - Léon-Louis-Joseph DASSONVILLE -
DUBAR, qui
suit en XIV
5 - Victor-Charles-Henri-Joseph
DASSONVILLE - DESTOMBES, qui suit en XIV
6 -
Marie-Hortence-Joseph DASSONVILLE -
CORMAN, qui suit en
XIV