XII - Alexis-Joseph
DASSONVILLE - PIAT
Alexis-Joseph
DASSONVILLE, fils de Jean-Baptiste Dassonville et de Suzanne De Myttenaere fut
baptisé à Mouscron le 17 avril 1773. Il épousa à
Mouscron, le 9 floréal de lan VI (28 avril
1798), Louise-Victoire PIAT, baptisée à
Tourcoing le 16 mars 1772. Un contrat de mariage fut
passé entre eux à Tourcoing la 30 avril 1798.
Alexis
navait pas épousé la première venue. Louise-Victoire
appartenait à une très ancienne famille de
Tourcoing dont un quartier et une rue de la ville (rue
des Piats) ont gardé le souvenir.
Elle
était la cinquième des dix enfants de Jean-Baptiste-Joseph
Piat et de Marie-Catherine-Joseph Hollebecque ou
Holbecq. (Document
à venir)
Jean-Baptiste
Piat était fabriquant détoffes et notable de
la ville.
On eût
pu appliquer à Louise-Victoire le mot de lEcriture :
« Cette mère admirable entre toutes était le
bon sens même, elle joignait dans une mesure peu
commune le coeur vaillant de lhomme à toutes
les délicatesses de la femme ».
Elle
avait été à rude école pendant la Terreur. Son
père avait été arrêté en décembre 1793 par
les révolutionnaires et incarcéré à Lille à
cause de ses convictions religieuses et de ses
fonctions de pauvrisseur (membre du bureau de
bienfaisance). Il fut arrêté en sortant de « lEcu
de France » sur la Place de Tourcoing, alors quil
venait dachever avec ses confrères la
distribution du pain aux pauvres de la commune. On laccusait
de « laisser manquer aux pauvres qui sont de
la nation pour donner de plus à ceux qui
tenaient la parti contraire », davoir
un fils émigré et dêtre un fanatique
dangereux. Il fut donc conduit sous bonne escorte à
Lille, aux Bons-Fils, un ancien hôpital transformé
en prison. Des citoyens de Tourcoing firent de
nombreuses pétitions, réclamant sa liberté et se
portant garants de sa responsabilité et de son
innocence. Il ne sortit de prison que fin juillet
1794, après la chute de Robespierre.
Dans
ces circonstances, Louise-Victoire, jeune fille de 21
ans, sachant son père très malheureux, montra un
courage admirable. Elle se déguisa en marchande de
café, pénétra dans la prison des Bons Fils,
réussit à tromper la vigilance des geôliers et
porta secours à son père qui mourait de faim en lui
apportant nourriture, linge et réconfort moral.
Elle
vint également à laide dautres
prisonniers, dont le maire de Tourcoing, Florin Motte,
incarcéré lui aussi au même endroit pour « fanatisme ».
Elle
développa dans ces circonstances difficiles ses
solides qualités et fut vraiment une de ces femmes
remarquables, autrefois nombreuses dans le Nord, qui
savaient gouverner un ménage, donner une sage
direction à leurs enfants et une vigoureuse
impulsion aux affaires industrielles et commerciales.
Tout en restant lâme au foyer, elle contribua
grandement à lessor de la filature de coton de
son mari.
Jean
Christophe, dans « Gens et choses de Tourcoing »,
parle delle comme de la mère admirable citée
dans les Ecritures.
Alexis
sétait donc marié en 1798, en pleine guerre
avec la France voisine et révolutionnaire. Cela, ne
la pas empêchée dépouser une
tourquennoise. Les alliances matrimoniales entre les
familles des deux villes mitoyennes avaient cours
depuis bien longtemps et lon cousinait
largement avec ou sans frontière. En se mariant,
Alexis échappait de justesse à la conscription qui
allait frapper, dès la fin de lannée 1798,
tout célibataire âgé de 20 à 25 ans. La durée du
service militaire était de cinq ans, mais en temps
de guerre, elle pouvait devenir illimitée. Pendant
ces années de domination française, lenrôlement
forcé dans les armées du Consulat et de lEmpire
fut souvent un drame pour nombre de familles de
Mouscron.
En
revanche, au cours de cette période, lartisanat
textile local profita du protectionnisme napoléonien
et du blocus continental de lAngleterre pour
prendre une nouvelle dimension.
Après
ces temps troublés de la période révolutionnaire,
lavenir paraissait donc moins incertain et les
projets pouvaient renaître.
Alexis
et Louise-Victoire sinstallèrent marchand-fabricant
détoffes sur la Grand-place de Tourcoing.
Alexis put compter sur les solides qualités de son
épouse qui déjà avant le mariage était fabricante
détoffes avec son père. A lépoque,
dans les meilleures familles de la bourgeoisie, il
était admis, voire recommandé, que les jeunes
filles, comme les femmes mariées assistassent leurs
parents puis leurs maris dans leurs activités
professionnelles.
La
Grand-Place de Tourcoing au début du 20ème
siècle
La
flèche indique la maison quoccupèrent Alexis
et Louise-Victoire Dassonville
La
filature de coton est installée dans la cour en 1806
(Photo - Médiathèque de Tourcoing)
Cest
ainsi que le couple se lança dans laventure
industrielle.
Ils
firent fabriquer des étoffes par des artisans
travaillant à domicile, à Tourcoing même ou dans
les campagnes environnantes, puis en assurèrent,
chez eux, lapprêt et la commercialisation.
En 1806,
soucieux dalimenter le tissage en fils de la
meilleure qualité, ils installèrent, derrière leur
habitation, une petite filature de coton de 864
broches et maîtrisèrent ainsi peu à peu tous les
stades de la fabrication et de la vente des tissus.
Dans lindustrie textile, on appelle broche la
tige de fer qui reçoit la bobine dans la filature,
elle sert également dunité de mesure et
indique limportance de la filature. Avec leurs
confrères, ils vont profiter des mesures de
protection douanière très efficaces qui illustrent
la volonté de lEmpereur de disputer la
première place à la Grande-Bretagne sur le terrain
industriel.
Dès
leur mariage, Alexis et Louise-Victoire habitèrent
sur la Grand-place de Tourcoing, un choix judicieux,
car le marché sy tient quatre fois par semaine.
On ne peut rêver un endroit plus propice au commerce.
Alexis
et Louise-Victoire eurent cinq enfants, une fillette
qui mourut en bas âge et quatre garçons. Trois dentre
eux seront filateurs de coton et le quatrième,
marchand de graines et tourteaux.
La
maison quoccupa le jeune ménage, quelque peu
transformée existe encore au n° 3 de la Grand-place
et abrite une parfumerie.
En
front de rue sexercent les activités purement
commerciales, dans le bureau et le magasin sont
reçus tisserands et clients parmi les balances et
les échantillons, tandis quà larrière,
sur le jardin, donne une salle à manger, la seule
pièce commune où peut se réunir la famille.
Suivent une cuisine, une laverie et les ateliers de
préparation, dapprêt et de filature. A létage
se trouvent les chambres des parents et des enfants,
mais aussi bien souvent latelier « dourdirie ».
Dans ce local, de jeunes ouvrières préparent, sous
loeil vigilant de Louise-Victoire, les fils des
chaînes qui seront distribués aux tisserands. Sous
le toit, dans les combles, les greniers font office dentrepôt.
Bien quils
furent propriétaires de deux maisons sur la Grand-place
et dune autre rue de Lille, les Dassonville-Piat
vécurent très simplement. Cétait alors la
règle à Tourcoing, quel que soit le niveau de
fortune. On ne vit la réussite professionnelle safficher
quaprès 1850, en particulier à travers larchitecture
de ces bâtiments multifonctionnels que sont les
résidences de marchand-fabricant. Encore que dans
cette ville on ait toujours répugné à létalage
des richesses.
Au sein
de leur profession, Alexis et Louise-Victoire nappartenaient
pas au peloton de tête, du moins dans le domaine de
la filature de coton, si lon en juge par le
nombre de broches quils faisaient tourner de
1806 à 1832. Quant à leur activité principale, la
fabrication et le commerce de tissus, elle est
destinée au seul marché intérieur. Les Dassonville-Piat
ne figurent sur aucune des listes de fabricants
exportateurs tourquennois (Archives Municipales de
Tourcoing : Etat de Section du Cadastre de
1827).
Leur
filature na jamais excédé 1.296 broches et en
1814, ils employaient 42 ouvriers pendant les mois de
novembre et décembre. A la même époque, la plus
grande filature de la ville comptait 5.600 broches (
Ets frères Desurmont).
Déclaration
de Dassonville et Cie, à la suite d'une enquête
sur la filature de coton en 1814
Archives Municipales Tourcoing : 7F1C
Pendant
trois ans, Alexis expérimente lassociation. De
1817 à 1820, on trouve mention dune entreprise
Dassonville et Bodin, puis Dassonville et Cie rue de
Lille et non Grand-Place. Elle occupe 50 ouvriers
dans lancienne filature dun certain
Delcour-Florin. Après 1822, le seul nom de
Dassonville-Piat réapparaît avec ses 1.080 broches
à filer et se situe à la 19ème place
parmi les 30 filateurs de coton de la ville.
Marque
de fabrique de Dassonville et Bodin en 1818
D'après le registre de dépôts de marques de 1818
Archives Municipales de Tourcoing : 7F1C
En 1825,
Alexis na plus que 26 ouvriers et de sa
filature de la Grand-place, sortent surtout des
filés de coton en fin. Lannée suivante voit lamorce
dune crise grave du coton. On peur lire dans un
rapport sur lactivité du 4ème
trimestre : « le produit des filatures
est diminué du quart à cause que les filateurs ont
jugé convenable vu la stagnation du commerce de ne
point faire travailler le soir ».
Jusquà
sa mort, survenue à Tourcoing le 11 août 1833, à lâge
de 60 ans, Alexis continua à filer des numéros fins,
mais en petite quantité, puisquen 1832, il nutilise
plus que 232 broches. Ce sont ses fils Henri et
Martial qui déclarèrent son décès à la mairie. A
cette occasion, nous apprenons, un peu surpris, quà
cette époque Alexis était marchand-épicier sur la
Grand-place et non pas marchand-fabricant. Martial et
Henri âgés respectivement de 28 et 26 ans ont,
semble t-il, repris le flambeau : tous deux se
déclarent fabricants.
Trois
ans plus tard, le recensement de 1836 mentionne que
la veuve dAlexis, la vaillante Louise-Victoire
demeure marchande sans autre précision. Quant à son
fils Martial, il se dit, cette année-là, commis-négociant.
Il vit encore chez sa mère, Grand-place, avec son
frère Louis, jeune contremaître de 23 ans.
Louise-Victoire
décédera à Tourcoing, le 25 février 1844, à lâge
de 72 ans.
Les
fils Dassonville nont pas fini de nous étonner
et leur carrière restera fidèle au dynamisme et à
la flexibilité dont ont fait preuve leurs parents
tout au long de leur vie. Deux descendent les
Dassonville de Tourcoing.
Aujourdhui, les rameaux des quatre
branches Dassonville-Piat sélève à plus de 2.000
descendants à Roubaix, Tourcoing et aux environs.
La race
forte et généreuse de Louise-Victoire nest
pas prête de séteindre.
1 - Catherine-Aimée-Joseph
DASSONVILLE, née à Tourcoing le 8 prairial an
VII (28 mai 1799), y décédée en bas âge le 17
ventôse an XII (9 mars 1804).
2 - Charles-Henry-Joseph DASSONVILLE -
LEUDIRAN, qui suit
en XIII, premier rameau
3 - Henry-Martial alias Martial
DASSONVILLE - LEPLAT,
qui suit en XIII, second rameau
4 - Henry-Louis-Joseph DASSONVILLE -
STRAT, qui suit en
XIII , troisième rameau
5 - Louis-Joseph DASSONVILLE - LEPLAT, qui suit en XIII, quatrième
rameau